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L’euthanasie au Québec… la loi du silence!
Pourtant, on prépare activement des patients à consentir à des arrêts de traitements
Texte Karine Bernard, Anne Émilie Brisson, Isabelle Fontaine et Jacques Lanciault
Montréal, le 29 novembre 2003 - L’euthanasie pratiquée au Québec? Nenni! Pas du tout! Jamais! Aucun professionnel du réseau québécois de la santé ne se risquera à répondre affirmativement à cette question. Pourtant, l’état lamentable du système de santé actuel et le vieillissement de la population confrontent de plus en plus fréquemment des médecins à des situations d’ordre éthique où les choix sont déchirants. On aura beau s’en défendre, les décisions prises au chevet des malades interviennent directement dans le cours normal de leur vie. Pendant ce temps, les bonzes de la santé cherchent des solutions et en ont trouvé semble-t-il: le développement d’une culture des soins palliatifs. Depuis, le personnel redouble d’efforts à préparer les patients et leur famille à accepter l’interruption des traitements et le transfert en soins palliatifs.
Rien ne va plus dans les établissements de santé du Québec. Ça déborde de partout. Les ressources manquent, le personnel s’essouffle, les listes d’attente s’allongent. Les coûts de système ne cessent d’augmenter, l’argent se fait rare. La situation est telle que les pressions budgétaires se font de plus en plus sentir sur le personnel médical. « En tant que médecins, nous nous trouvons souvent en conflit entre notre devoir envers le patient et cette sorte d’obligation qu’on cherche à nous imposer de gérer les ressources limitées pour les autres malades, pour la société », avoue la docteure Geneviève Turgeon, omnipraticienne au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS).
Les intervenants en santé sont tenus bien malgré eux de considérer l’impact financier de leurs décisions. De là surviennent les questions éthiques et leur lot de choix douloureux. Rareté des ressources oblige, en fin de vie, on en vient inévitablement à la nécessité de remettre en cause l’efficacité des traitements curatifs et de proposer le recours à des soins palliatifs. Le processus est lourd : le personnel médical doit s’assurer d’une approche concertée, partagée par l’équipe soignante, en misant les efforts à bien informer le patient et ses proches afin d’obtenir un assentiment.
« Lorsqu’on décide de cesser les traitements, c’est laborieux : il faut tenir des réunions multidisciplinaires, expliquer l’évolution de la maladie du patient, les traitements auxquels il a été soumis, le diagnostic fatidique, les règles d’éthiques à considérer, etc. Si le patient n’est plus en mesure de décider par lui-même, ce sont des proches que nous devrons obtenir une décision. Et ils sont souvent trop perturbés émotivement pour donner un consentement substitué valable. Pratiquement parlant, c’est très difficile pour les soignants », soulève la docteure Turgeon.
Qu’à cela ne tienne, histoire d’amoindrir le fardeau d’obtenir le consentement en moment de grande vulnérabilité, on fait désormais signer aux patients âgés hospitalisés un formulaire de consentement préautorisé à tel ou tel niveau de soins en cas d’inaptitude : le Code d’intensité thérapeutique.
Humaniser la mort!
Puis, la tendance éclate au grand jour : l’ère est à « l’humanisation de la mort ». Le Conseil de la santé et du bien-être du Québec (CSBE), publie un avis public intitulé Pour une plus grande humanisation des soins en fin de vie. On y qualifie la mort, au même titre que la naissance, d’une « étape naturelle de la vie » et on insiste sur l’importance pour chacun de nous de « s’assurer une fin de vie digne, avec un allègement adéquat de sa souffrance et le respect de ses volontés ».
Dans les hôpitaux, on prépare les patients et leurs proches à la mort. On y va de grands exposés où tous les arguments sont avancés pour convaincre à accepter l’inévitable. On s’emploie, à coups de justifications raisonnables et « humaines », à dissiper les émotions et à faire admettre l’inadmissible. « Il est de notre responsabilité de donner le pouvoir au patient et à ses proches, de leur laisser savoir que de vivre encore quelques semaines aux soins intensifs n’est pas la meilleure façon de profiter des dernières semaines de vie », confie la docteure Anne-Marie Sarrazin, neurochirurgienne au Centre hospitalier régional de Lanaudière.
De guerre lasse, on s’en remet aux soins palliatifs. Du moins pour ceux qui ont accepté leur diagnostic et s’y sont résignés. Mais, n’a pas accès qui veut aux unités de soins palliatifs. Encore faut-il qu’il y ait de la place ou encore que le patient puisse payer, en centre privé. Comme tous les autres soins de santé, les soins palliatifs ne font fait pas exception; les places sont limitées, les listes d’attente sont longues et les organismes privés où des places sont libres refilent immanquablement une facture salée au client. Les personnes âgées qui y sont acceptées sont donc très rares. « Parmi les personnes qui devraient bénéficier de services organisés de soins palliatifs en fin de vie, seulement 5 % en reçoivent », révèle l’avis public du CSBE.
Les coûts d’un patient hospitalisé en unité de soins palliatifs sont de 630 $ par jour selon l’Évaluation économique d’un continuum de services pour patients en phase terminale, une étude réalisée par John R. Penrod, PhD, Viviane Adam, MSc et Yvan St-Pierre, Msc, au printemps 2001 pour le regroupement des CLSC de Montréal. La question qui se posera avant longtemps est : quel est le prix de la vie?
On semble se diriger tout droit vers une légalisation de l’euthanasie. Dans ce contexte où les coûts de notre système de santé continuent d’être hors contrôle, n’est-il pas à prévoir que les grands bonzes de nos derniers jours, forts de l’évolution des mentalités, n’ajoutent pas sous peu officiellement l’euthanasie aux choix offerts au patient en fin de vie?
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