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Somptueuse Bavière
Revue de presse
Fabienne Couturier, La Presse, le 24 janvier 2012
Lacs aux eaux de jade, châteaux romantiques, maisons de poupée, riantes vallées et neiges éternelles... La Bavière, le plus vaste des länder allemands, conjugue la beauté au présent depuis des temps immémoriaux et cultive des traditions oubliées ailleurs. Voyage en pays de conte de fées.
À peine est-on sorti de Munich que déjà on s'étonne de ces jolis clochers en forme de bulbe, de ces balcons tout fleuris, de ces fenêtres enluminées de riches décors en trompe-l'oeil. C'est si propret, soigné, ordonné qu'on se demande même si tout cela est bien naturel. Est-on en train de se faire avoir? Ne sommes-nous pas dans un décor de cinéma? Un village factice créé pour faire plaisir au touriste?
Photo ci-dessus : La vue de la vallée du château de Neuschwanstein… est superbe. (Photo Jacques Lanciault, Allemagne 15 octobre 2015)
Mais devant la perfection du bleu du ciel, sur lequel se détache au loin la pure et austère ligne des Alpes, il faut bien se rendre à l'évidence: on n'a pas pu truquer jusqu'à cela, quand même!
Photo ci-dessus : Il faut parfois quitter les lieux très touristiques de Berlin pour mieux le découvrir. Les touristes gagnent à marcher dans la capitale allemande. (Photo: Jacques Lanciault, Berlin, 1er novembre 2015)
Sur ce qu'il est convenu d'appeler la Route romantique, l'itinéraire touristique le plus connu d'Allemagne, rien ne déroge à cet ordonnancement parfait. À Schongau comme à Füssen, au sud-ouest de Munich, les maisons à haut pignon pointu, les étroites rues pavées, les places, les murailles qui ceignent la ville n'ont apparemment pas changé depuis le Moyen Âge. Ici, point de bungalows de vinyle, de centres commerciaux sans âme... Pourtant, nombre de ces villes et villages ont été rasés par de graves incendies au XVIIe ou au XVIIIe siècle, ou dévastés par les guerres. Chaque fois, on a patiemment reconstruit à l'identique, refait les fresques et les décors en trompe-l'oeil, remis en place les ravissantes enseignes de fer forgé. Ici, il n'y a pas d'autre façon de faire.
Füssen en particulier donne envie de s'attarder, avec son haut château, sa ravissante chapelle rococo peinte comme une vieille actrice, ses petites rues pentues et son étonnant musée, où l'on apprend que Füssen est le berceau de la lutherie en Europe: la première guilde de luthiers y a été fondée en 1562, et de là auraient essaimé les grands artisans jusqu'en Italie du Nord et au-delà. Stradivari lui-même en serait une émanation!
Aménagé dans l'ancien monastère Saint-Magne, le musée présente une magnifique collection d'instruments anciens - l'une des plus importantes d'Europe. On ne manquera pas de visiter aussi la bibliothèque du couvent, vaste pièce toute rose et baignée de lumière, où les livres anciens s'échelonnent jusqu'aux hauts plafonds décorés de stucs.
Le château de Neuschwanstein
Construit au XIXe siècle par Louis II de Bavière, Walt Disney s'en est inspiré pour concevoir le château de Cendrillon à Disneyland.
Présenté comme l'incontournable clou d'un voyage en Bavière, on l'aperçoit de loin, au sommet d'un pic rocheux au pied des Alpes. On s'y rend en calèche, en autobus ou à pied (la marche dure une trentaine de minutes) à partir du stationnement, où il faut laisser la voiture. Chaque année, des régiments de touristes s'y pressent (en moyenne, 6000 personnes par jour!) mais, pour dire la vérité, l'admirer de loin, dans le spectaculaire paysage où il élève ses hautes tours, est bien suffisant.
La visite, obligatoirement guidée, se fait au pas de charge (35 minutes top chrono), et l'audioguide n'est d'aucun secours puisqu'il décrit les pièces avant qu'on y entre, si bien qu'on ne peut pas suivre les explications au fur et à mesure. D'ailleurs, cela tient vraiment, cette fois, d'un décor de théâtre à la fois surchargé et sinistre plutôt que d'une oeuvre architecturale vraiment digne d'intérêt.
Enfin, il faut compter avec les inévitables essaims de Japonais, cette fois complètement désemparés: les photos sont interdites.
Bref, vos 12 euros seront mieux investis dans une assiette de charcuteries et une chope de bière fraîche, quelque part dans un endroit moins touristique...
Du côté de la Route des Alpes
Füssen, dernière étape au sud de la Route romantique, se trouve aussi au début de la Route des Alpes, qui longe la frontière autrichienne. On n'est qu'à quelques kilomètres de Garmisch-Partenkirchen, célèbre notamment pour les championnats de la Coupe du monde de ski qui s'y déroulent chaque année. Le Zugspitze, plus haut sommet d'Allemagne, y monte la garde. Là encore, paysages de contes de fées, maisons traditionnelles tout ornées de fleurs et de fresques, églises lumineuses et places pleines de vie donnent envie de flâner à jamais.
Mais on aurait tort de rater la spectaculaire randonnée le long des gorges de la Partnach, facile même pour les indécrottables patates de sofa, et splendide à tout point de vue. Arrivé au but, dans une vallée alpestre où paissent les vaches à clochettes (désolée pour le cliché, mais c'est comme ça!), on se récompensera d'un chocolat chaud à la terrasse du Forsthaus Graseck, d'où l'on peut ensuite redescendre en téléphérique.
Après, cap sur la petite ville de Berchtesgaden, haut lieu de villégiature pour des générations d'Allemands et patrie d'élection de Hitler. La propagande a abondamment montré le Führer en train de marcher dans ces montagnes, où il possédait une maison d'été accessible par des tunnels, lui qui était claustrophobe et avait le vertige!
La maison a été détruite par les bombardements alliés, mais les tunnels et le bunker se visitent toujours. On y a accès par un remarquable centre de documentation sur la guerre et le régime nazi, établi après des années de tergiversations sur ce qu'il convenait de faire de ces lieux. On a aussi décidé d'y construire un hôtel de grand luxe, l'Intercontinental, pour redonner à la région sa vocation initiale de villégiature haut de gamme et décourager le tourisme de mauvais aloi, genre pèlerinage néo-nazi.
Mais le plus intéressant est bien la ville elle-même, parée tous les jours comme pour un jour de fête. Des traditions qui remontent à l'invention du mot lui-même s'y perpétuent, comme la fabrication de jouets de bois et de jolies boîtes peintes à la main, ou les fêtes qui entourent la transhumance des vaches de retour des alpages, à l'automne.
Tout près, le Königsee (le lac du Roi), spectaculaire fjord long de 8 km sur à peine 2 km de largeur, offre d'infinies possibilités de randonnées et des panoramas décoiffants au milieu d'un parc national classé par l'UNESCO. Ses eaux de jade se parcourent en bateau électrique, et le seul pêcheur qui a le droit (héréditaire) d'y tendre ses filets vend ses prises à l'autre bout du lac.
Dans la charmante église qui dresse son clocher juste à côté, on pourra faire une pause pour remercier le Créateur de tant de beauté.
Les compagnons allemands
Il arrive parfois que l'on aperçoive, au détour d'une rue, deux ou trois jeunes hommes vêtus bizarrement - pantalon noir très évasé, chapeau rond à large bord, veste noire -, chacun chargé d'un authentique baluchon. On pense d'abord à quelque duo ou trio de musiciens costumés qui s'en vont donner un spectacle, mais pas du tout.
Vous souvenez-vous, dans les contes, quand un jeune homme se faisait dire par ses parents: «Fils, tu es en âge de voir le monde, va-t'en par les chemins, tu reviendras quand tu seras un homme» ?
Eh bien, cette tradition, en Allemagne, existe toujours. Ces jeunes gens sont des «compagnons» - menuisiers, cordonniers, boulangers en formation. Vêtus de ce costume traditionnel qui permet de les reconnaître comme tels, ils vont de ville en village pour se placer chez un maître, qui les fera travailler contre le gîte et le couvert.
C'est pourquoi on trouve, à l'entrée des villages, ce qu'on appelle un «arbre de mai», auquel sont traditionnellement fixées les enseignes des artisans qui y tiennent boutique. Ainsi les compagnons peuvent-ils savoir s'ils ont des chances de trouver un maître qui les emploiera.
Louis II et ses châteaux
Le roi Louis II a régné sur la Bavière de 1864 à 1886. Fasciné par l'idée d'une royauté de droit divin, lui qui était un monarque constitutionnel sans pouvoir réel, il a vécu dans le fantasme de recréer la grandeur des rois et des chevaliers du Moyen Âge.
Il a fait construire nombre de châteaux et de palais extravagants, dont le plus célèbre est celui de Neuschwanstein, où il a fini par se replier sur son monde imaginaire et où il n'a vécu que quelques mois.
On ne sait trop s'il a fini ses jours seul parce qu'il était fou ou s'il est devenu fou à force de vivre seul dans un pareil cadre, mais Louis a été trouvé mort dans le lac de la propriété où on l'avait enfermé la veille pour aliénation mentale. Son psychiatre était mort aussi, noyé. Le mystère plane toujours sur ce qui s'est réellement passé.
Alors qu'il avait demandé que ses châteaux soient détruits à sa mort, le gouvernement les a ouverts au public pour démontrer à quel point il était dérangé - et pour payer les dettes royales. Neuschwanstein n'a jamais été terminé. On a fini une aile ou deux pour faire joli, mais elles sont vides de chez vide.
Les frais de ce voyage ont été payés par l'Office national allemand du tourisme, transport assuré par Lufthansa.
Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.
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