Juin/120
Tourisme Finlande – Ces fins Finnois du design
Revue de presse
Gary Lawrence, Le Devoir, le 9 juin 2012
Après Turin en 2008 et Séoul en 2010, c’est au tour d’Helsinki d’être consacrée capitale mondiale du design cette année. Et pour cause.
À l’intérieur de la kampin kappeli — la chapelle du silence —, nulle dorure, pas d’ostentation superfétatoire, zéro déco. Que de fines lattes de bois incurvées, quelques bancs ultrasimples et un mince anneau de lumière qui coule du ciel, au haut de la structure semi-ovoïde, éclairant le seul « objet ornemental » des lieux : un crucifix épuré.
Inaugurée la semaine dernière au centre du très animé square Narinkka, cette chapelle au dépouillement extrême ne servira pas à y tenir messes et cérémonies. Elle se veut plutôt un lieu de recueillement et de rencontres, mais surtout un sas d’évasion pour se couper du tumulte urbain. Et comme dans tout bon design finnois, sa forme apaisante, rassérénante et tout en courbes suit sa fonction.
Photo ci-dessus : La kampin kappeli, la chapelle du silence. (Photo : Jacques Lanciault, 2018)
En ce pays du bien-vivre qu’est la Finlande, ce n’est pas d’hier qu’on se préoccupe du bien-être de la population. Surtout à Helsinki. Fondée en 1550 sous le nom d’Helsingfors par Gustav Vasa, roi de Suède, la capitale de cette contrée baltique fut pourtant, pendant longtemps, au coeur d’une région rurale et fortement agraire, mais aussi sous la tutelle russe, comme en font foi ces grandes places en pavés — il y en a 400 000 devant l’église luthérienne — et ces immeubles et monuments à la saint-pétersbourgeoise.
Après l’indépendance de 1917, la Finlande fit le pari de progressivement s’ériger en État-providence, où tout un chacun trouverait son compte. Pari tenu : l’ancien grand-duché russe forme aujourd’hui l’un des États les plus enviés de la planète et sa capitale constitue l’une des plus sûres et des plus recherchées au monde pour sa qualité de vie — le magazine Monocle l’a même consacrée ville la plus agréable de l’univers connu l’année dernière.
Heureusement qu’on y croise parfois des mendiants roms, que ses hivers sont gadouisants et que son chauffage central est au charbon, sinon on peinerait à lui trouver quelque défaut.
Tandis qu’elle se développait et prenait lentement du galon au siècle dernier, Helsinki voyait ses créateurs mettre l’accent sur un design simple, fonctionnel, pratique et surtout accessible à tous, en cet État naissant dans la précarité.
À l’époque, cet art de la conception se voulait aussi démocratique que la jeune république qu’il désirait servir, offrant habitats, aires publiques et objets conçus avec intelligence et finesse, laissant souvent transparaître un penchant traditionnel pour l’ornemental ou des références à la nature.
Si l’histoire du design finnois remonte au XIXe siècle, avec la fondation de la Société finlandaise des arts et du design ainsi que des entreprises comme Iittala (verre), Finlayson (textile) ou Arabia (vaisselle), c’est dans les années 20 et 30 que les grosses pointures ont commencé à véritablement s’imposer, de Nanso (vêtements) à Artek (déco) en passant par Kalevala Koru, dont les bijoux sont inspirés du Kalevala, l’épopée nationale.
Mais c’est finalement dans les années 50 que le design finnois connut son âge d’or, à partir de la Triennale de Milan de 1951, où le pavillon finlandais conçu par Tapio Wirkkala fit fureur. S’ensuivirent 15 années de triennales toutes plus profitables les unes que les autres pour la renommée du design finnois. « Cette série de reconnaissances internationales a donné un sentiment de fierté aux Finlandais, ce qui les a incités à miser davantage sur leur créativité », assure Raila Kylmätä, guide finnoise férue des formes.
Bien auparavant, les Eliel Saarinen (père du célèbre Eero), Armas Lindgren et Herman Gesellius faisaient basculer le design architectural dans une nouvelle dimension, celle du romantisme national finlandais (proche parent de l’Art nouveau), après avoir brillé à l’Exposition universelle de Paris en 1900. Vinrent ensuite les illustres Alvar Aalto, Eero Aarnio et autres Kaj Franck, tandis qu’étaient fondées des sociétés comme Marimekko (des vêtements rendus célèbres par Jackie Kennedy) et Aarikka (bijoux, accessoires, déco maison), pour ne nommer qu’elles.
« De nos jours, la plupart de ces noms demeurent d’actualité, que ce soit parce que les entreprises existent toujours ou que leurs produits ou certaines de leurs répliques sont vendus dans les boutiques d’Helsinki », ajoute Raila Kylmätä.
Le fauteuil Eames, qu’on voit dans Frasier et qui aurait été développé conjointement avec Alvar Aalto ? Il est chez Artek. Le fauteuil ballon, moult fois apparu sur la couverture de Playboy et de tant de magazines ? On le retrouve notamment au sous-sol de la boutique Unikulma, en compagnie des lampes et du mobilier tarabiscotés et autres petits chefs-d’oeuvre d’inventivité d’Eero Aarnio, leur auteur octagénaire toujours fébrilement actif.
Au restaurant Savoy, tout de boiseries vêtu par Alvar Aalto dans les années 30, on se délecte d’une fine cuisine finnoise dans des plats conçus par le célèbre designer et architecte, devant un bouquet de fleurs plantées dans un vase Savoy, l’un des objets finlandais les plus connus qui soient et qu’on peut se procurer chez Iittala, temple du design de Pohjoisesplanadi, chic avenue de la ville.
Au coeur du Design District — un vaste quadrilatère qui regroupe 200 adresses de créateurs —, le Design Forum tient lieu de vaisseau amiral des designers finnois, et ce, depuis 1875. Le fruit de l’imaginaire d’une centaine d’esprits vifs est ici exposé et écoulé, du cendrier oblong qui donne envie de griller une clope au vase lumineux, en passant par un détecteur de fumée en forme de mite géante. Pendant ce temps, le complexe Kaapeli — un ancien entrepôt Nokia - continue d’être occupé par une pléthore d’artistes avant-gardistes, présents sur place à travers galeries d’art et musées.
Plus récemment, une nouvelle génération de créatifs et d’entreprises mis en lumière par la Helsinki Design Week a trouvé sa voie, dont Globe Hope (spécialisé en recyclage), Harri Koskinen (meubles, lampes, divers objets), Suunto (montres-ordis) ou IVANAhelsinki — une designer poursuivie par Ivana Trump pour qu’elle cesse d’oeuvrer sous ce nom… ce qui a valu à la première toute la notoriété de la seconde, qui a perdu en cour.
Enfin, preuve ultime qu’en Finlande, le design, c’est du sérieux : le Designmuseo d’Helsinki a été fondé en… 1873. Ici, la poivrière, le vase à fleurs et la paire de ciseaux sont presque élevés au rang d’oeuvres d’art, aux côtés de l’armoire Art nouveau de Jung, du bol à fruits de Vallgren ou de la fameuse chaise tulipe de Saarinen.
Mais n’y cherchez pas la hideuse chaise blanche en plastique qui dépare toutes les terrasses du monde : elle n’a pas trouvé preneur au Designmuseo. Ni en ville, d’ailleurs. « Chez nous, ces chaises sont interdites, tout comme le sont les parasols qui servent de panneaux-réclame aux marques de bière », explique Raila Kylmätä.
En ce radieux lundi de mai, les terrasses d’Helsinki sont d’ailleurs bondées, qu’elles accueillent une famille se gavant de crème glacée — les Finnois en seraient les deuxièmes plus grands consommateurs mondiaux, après les États-Uniens — ou des Helsinkois en train de tutoyer une Luomun-Pils, une bière bio bien frappée.
« Dans les années 90, j’ai quitté Helsinki pour quelques années ; quand je suis revenue en 1996, je ne reconnaissais plus ma ville ! », se rappelle Raila Kylmätä. Auparavant, les terrasses étaient interdites et la ville imposait de strictes règles de tempérance. Puis, en 1993, tout à changé.
« La ville mue aussi du tout au tout dès l’arrivée du printemps », assure Anna, une étudiante en train de laisse respirer une bouteille de rosé sur la pelouse du ravissant Esplanadin puisto (le parc de l’Esplanade), en fin de journée.
Située sur le 60e parallèle, la petite ville de 600 000 âmes passe en effet des interminables nuits hivernales à autant d’heures de clarté à mesure qu’elle s’approche du solstice d’été. Certains attribuent d’ailleurs la finesse du design local à la nécessité, pour les Finlandais, de mettre un peu de couleur dans la grisaille de leur quotidien après autant de temps plongés dans les ténèbres. À moins que ce ne soit la clarté des nuits blanches qui illumine d’un fiat lux ! leur fibre créative ?
En attendant de voir atterrir un éventuel musée Guggenheim en son sol, Helsinki fut consacrée capitale mondiale du design pour en souligner la tradition et l’ubiquité au quotidien. Sans doute aussi parce qu’elle incarne l’âme profonde d’un pays qui continue de miser sur l’éducation et la formation pour assurer l’avenir de cette partie non négligeable de son économie.
À preuve, c’est tout récemment que fusionnaient l’Université des Beaux-Arts et du Design, l’École des sciences économiques et l’Université de la Technologie pour donner naissance à une institution multidisciplinaire, l’Université Aalto, unissant les forces vives du design finnois. Aussi, est-il utile de préciser que l’accès à ce nouvel établissement, comme toute université finlandaise, est gratuit ?
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Montréal, siège du design
Fondé en 1957, l’International Council of Societies of Industrial Design (ICSID) est un organisme à but non lucratif chargé de la promotion du design industriel à travers le monde. Basé à Montréal depuis 2005, l’ICSID accorde à une ville le statut de capitale mondiale du design tous les deux ans depuis 2008. Les élues (Turin, Séoul, Helsinki et bientôt Le Cap, en 2014) sont choisies en fonction de leur capacité à « utiliser le design pour se réinventer et améliorer leur vie sociale, culturelle et économique ». icsid.org.
L’auteur était l’invité de la Compagnie du Ponant.
Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.
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