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« Il a eu envie d’appuyer sur l’accélérateur… »
Revue de presse
Marc-Antoine Godin, La Presse, le 28 octobre 2014
La nouvelle du décès d’Oscar Taveras s’est répandue en un rien de temps à travers la petite communauté dominicaine de Montréal. Dans des salons de barbier de la rue Saint-Zotique, hier, la télévision était ouverte et on y parlait de la mort du voltigeur de 22 ans des Cardinals de St. Louis.
Chez Kiko Muffler, tout le monde savait.
Alberto Santos, lui, a couru chez son ami Tato dès qu’il a eu vent de la terrible tragédie. Tato, c’est Francisco Taveras, le père du regretté joueur.
« C’est un peu mon père et Oscar était mon petit frère », résume Santos, qui connaît la famille depuis 20 ans.
Dimanche soir, il s’est chargé d’acheter des billets d’avion pour Tato et les enfants, qui ont tous mis le cap sur la République dominicaine hier matin.
Lui, il est resté à Montréal. N’est pas allé au travail. A pleuré toute la journée.
« Ma fille de trois ans a vu les photos et m’a demandé “Oscar a un bobo ?” en voyant le sang sur sa tête. Elle ne comprend pas, mais il y a beaucoup d’émotion à la maison en ce moment. »
Oscar Taveras, qui était considéré par Baseball America comme le troisième espoir du baseball pour 2014, a passé son adolescence à Montréal, jouant quatre saisons dans les associations mineures.
Mais même sous l’œil bienveillant de son père, sa véritable nature n’était jamais loin. Elle le destinait à l’éloigner un jour ou l’autre du Québec.
« Avant, on pouvait être safe en République dominicaine, mais plus aujourd’hui, raconte Santos. Il y a de la délinquance et la qualité de vie n’est plus ce qu’elle était il y a 15 ou 20 ans. Pour manger, il y a des gens qui tuent.
« Or, Oscar aimait cette ambiance-là. C’était son milieu. Pour lui c’était un challenge. En l’amenant à Montréal, son père voulait le protéger d’un malheur. »
Tato a beaucoup voyagé durant les années 80 et il a finalement refait sa vie à Montréal en 1993 après avoir rencontré une femme. L’été, il joue dans une ligue de balle-molle au parc Laurier et au parc La Fontaine.
Mais aujourd’hui à Sosua, il enterre son fils.
UNE BULLE D’INVINCIBILITÉ
En signant un premier contrat avec les Cards de St. Louis en 2008, Oscar Taveras a laissé à Montréal une partie de sa famille et des amis qu’ils s’étaient fait en cours de route. Des amis comme son ancien voisin Ismael Pena-Chénier, un espoir de l’organisation des Diamondbacks de l’Arizona qui a lui aussi profité de la double citoyenneté pour retourner en République et y décrocher un contrat à titre de joueur autonome.
« La dernière fois qu’on s’est parlé, c’était il y a deux semaines, confie Pena-Chénier. Je lui ai envoyé un message texte pour le féliciter de son circuit en série de championnat, mais par la suite on ne s’est plus parlé.
« On est tellement down ! », a-t-il résumé à propos de ses copains et lui.
C’est comme si le Québec avait été un long intermède dans la vie d’Oscar Taveras. Quand Alberto Santos l’a incité, des années plus tard, à revenir à Montréal pour y passer ses vacances, la recrue des Cards répondait sans trop y croire qu’il viendrait faire la fête et charmer les femmes.
« Oscar était dans sa bulle et cette bulle-là l’a mené jusqu’à sa mort, déplore-t-il. Il se pensait invincible. C’était un bon gars, mais il avait une tête de cochon. Son attitude était de dire : “Je suis un homme maintenant, je peux faire ce que je veux” ».
PLUTÔT L’ÉCOLE… DU BASEBALL
Moises Perez-Infante, dont le grand frère Anibal et lui sont des amis de longue date de Taveras, confirme que c’est pour lui donner de meilleures perspectives d’avenir que son père l’avait amené au Québec.
« Pour qu’il étudie et qu’il puisse avoir un meilleur avenir, explique le jeune homme de 19 ans. Sauf qu’Oscar n’aimait pas vraiment l’école... »
Perez-Infante est bien placé pour le savoir : Taveras et lui ont fait les 400 coups ensemble à l’école Georges-Vanier.
« On était dans une classe pour ceux qui ont des problèmes d’apprentissage. Oscar avait trois ans de retard dans ses études. On est devenus de bons amis... et on faisait toujours des conneries ensemble ! »
— Moises Perez-Infante, ami d’Oscar Taveras
Taveras a fini par être expulsé de l’école et il s’est retrouvé brièvement à la polyvalente Louis-Joseph-Papineau avant de décider, de concert avec son père, qu’il valait mieux retourner en République dominicaine et devenir pro le plus vite possible.
On doit préciser que même s’il aurait souhaité une bonne éducation pour son fils, Tato avait lui aussi le baseball dans le sang. Il avait été voltigeur, puis lanceur dans les filiales des Brewers de Milwaukee.
« Ils ont tous les deux le même élan au bâton et plein de petits gestes identiques, raconte Santos. Ils sont comme deux gouttes d’eau. »
TROP VITE PARTI
Inspiré par son ami des Cards Carlos Martinez – qu’il a remplacé comme frappeur suppléant en série de championnat au moment de frapper son tout dernier circuit – , Taveras avait décidé il y a quelques semaines à peine de s’acheter une voiture. Il venait de la faire livrer en République dominicaine et elle était encore immatriculée en Floride lorsqu’il est arrivé au pays, quatre jours avant sa mort.
« Depuis l’an dernier, quelqu’un l’aidait à gérer son argent et ses folies, explique Santos. Il était plus tranquille. Mais là, il a eu envie d’appuyer sur l’accélérateur... »
Les résultats de l’autopsie pratiquée hier n’ont pas encore été rendus publics, mais l’entourage de Taveras s’est fait dire que le portrait d’ensemble n’était pas beau : il y avait des bouteilles d’alcool dans la Camaro rouge, ni sa copine ni lui n’étaient attachés, et à vive allure sur une route mouillée par des pluies abondantes, il n’a eu aucune chance de s’en sortir lorsque le véhicule a heurté un arbre de plein fouet.
Et c’est sans parler des fameuses routes dominicaines.
« Elles ne sont pas assez bonnes pour une auto comme celle-là, soutient Santos. En République, les gens peuvent conduire de vieilles bagnoles des années 80 avec juste les quatre roues. Ce qui est plus fort chez nous, c’est la décoration de l’auto et le système de son. »
AIMÉ D’AMOUR
Ce serait galvaudé de dire qu’Oscar Taveras, un jeune homme souriant qui voulait vivre à fond, est mort comme il a vécu. Mais en matière de termes galvaudés, Mike Matheny a son idée bien à lui.
« À mon sens, le mot “aimer” est le plus galvaudé et le plus incompris de la langue anglaise, a déclaré le gérant des Cards, hier, dans un communiqué empreint d’émotion. Ce n’est pas populaire pour les hommes de l’utiliser, encore moins chez les athlètes. Mais il n’y a pas de mot plus juste pour décrire le souci profond et sincère que partage un groupe d’hommes. Nous aimions Oscar et il nous aimait. C’est ce que fait une équipe, c’est ce que fait une famille.
« Tu nous manqueras, Oscar. »
Les funérailles de Taveras auront lieu aujourd’hui. Matheny, Martinez et le receveur Yadier Molina seront sur place.
Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.
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