Oct/140
Il était « l’avenir de la concession »
Revue de presse
Philippe Cantin, La Presse, le 28 octobre 2014
« Hé papa, regarde ce que j’ai trouvé ! »
C’était samedi, au Centre Pierre-Charbonneau. Comme à chaque fin d’octobre, le Salon des collectionneurs battait son plein. Lorsqu’on aime fouiner dans les cartes de hockey, feuilleter un magazine Perspectives des années 60 avec la photo du Rocket en une, ou replonger dans ses souvenirs d’enfance en dénichant le guide de presse 1974 de l’Association mondiale de hockey, il n’y a pas de meilleur endroit pour passer un moment.
J’étais en train d’examiner ce que je surnomme affectueusement les « vieilleries sportives » lorsque Théo, mon fils de 11 ans, m’a fait signe. Après avoir inspecté chaque page d’un cartable contenant des centaines de cartes de baseball vendues à l’unité, il en avait trouvé une à son goût.
En voyant sa mine réjouie, j’étais convaincu qu’il venait de dénicher une autre carte de son joueur préféré, Jose Bautista, l’as frappeur des Blue Jays de Toronto. Mais j’ai été surpris en voyant l’uniforme des Cards de St. Louis. « C’est Oscar Taveras... », a-t-il ajouté.
De plus petite dimension que les cartes régulières, celle-ci fait partie d’une collection d’appoint émise en 2013 et intitulée Future of the Franchise, c’est-à-dire L’Avenir de la concession. On y voit Taveras compléter son élan, les yeux rivés sur la balle qu’il vient de frapper.
Quelques mois plus tôt, j’avais raconté à Théo ce que je savais de Taveras. Après tout, les joueurs des majeures ayant disputé une partie de leur baseball mineur au Québec ne sont pas nombreux.
Mon court récit est demeuré dans la mémoire de mon fils. Et c’est avec fierté qu’il est rentré à la maison avec cette petite carte.
Après Jose Bautista et Russell Martin, voici un autre joueur que nous allions surveiller avec intérêt en 2015. En espérant secrètement que si les Expos revenaient à Montréal un jour, peut-être verrions-nous Oscar dans l’uniforme des Z’Amours. Après tout, le rêve est le propre des amateurs de baseball.
Cette affection familiale pour Taveras était purement liée à ses attaches montréalaises. Car au fond, on le connaissait très peu. À peine l’avait-on vu quelques brefs moments à la télé. Mais il était un des nôtres. Nous étions fiers de lui. Et on lui souhaitait une grande carrière.
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La mort d’Oscar Taveras, un jeune homme de 22 ans, et d’Edilia Arvelo, sa compagne de 18 ans, a été annoncée durant le cinquième match de la Série mondiale dimanche soir.
La nouvelle a provoqué une onde de choc dans le baseball majeur. Juan Pérez, un joueur des Giants de San Francisco aussi originaire de la République dominicaine, a pleuré dans l’abri des joueurs.
Tout au long de la rencontre, les témoignages se sont succédé. Le commissaire Bud Selig a eu les mots justes : « Oscar, un jeune membre de la famille du baseball, était plein de promesses et à l’aube d’une merveilleuse carrière dans notre sport. Son circuit égalisateur, il y a exactement deux semaines contre les Giants, le démontre. Le cœur lourd, nous disputons le match de ce soir à la mémoire de ces deux jeunes gens. »
Oscar Taveras était une étoile en devenir. Tenez, dans la collection de cartes L’Avenir de la concession, où les meilleurs espoirs de chaque organisation sont célébrés, son nom côtoyait ceux de Yasiel Puig (Dodgers) et Mike Trout (Angels), déjà deux des meilleurs joueurs des majeures. Et à St. Louis, on évoquait le nom d’Albert Pujols pour illustrer la mesure de son talent. Oui, Pujols, un des meilleurs frappeurs de sa génération...
Au printemps prochain, les chances de Taveras d’obtenir le poste de voltigeur de droite des Cards, une organisation qui regorge de joueurs prometteurs, étaient excellentes.
Même s’il n’avait disputé que 80 matchs à sa première saison dans les majeures, Taveras était déjà connu aux quatre coins du baseball. Les vedettes actuelles savent repérer les jeunes qui seront bientôt membres de leur club sélect. Cela explique pourquoi Bryce Harper, des Nationals, et Andrew McCutchen, des Pirates, ont été parmi les premiers à faire part de leur peine sur Twitter.
Le 28 septembre dernier, Taveras avait souligné la qualification des Cards pour les séries éliminatoires en publiant une photo de lui sur Twitter, où il s’identifiait sous le pseudonyme @el_fenomeno_18, preuve de sa confiance en lui. Énorme sourire au visage, « Le phénomène » était aspergé de champagne. Le message accompagnant l’illustration était simple : « Merci, Dieu ! Mes premières séries ! »
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Dans sa Camaro rouge 2014, Taveras roulait-il trop vite dimanche après-midi ? Les pluies abondantes ont-elles rendu la chaussée glissante ? A-t-il eu un moment d’inattention au volant de son bolide ? A-t-il voulu éviter un obstacle ? On n’aura jamais de réponses précises à ces questions. Seules les terribles conséquences de l’accident sont certaines.
Oscar Taveras a vécu son adolescence au Québec. À l’âge de 15 ans, il a évolué au plus haut niveau du calibre midget, habituellement destiné aux joueurs de 16 à 18 ans. Il a disputé plusieurs matchs au parc Ahuntsic, dans le stade maintenant nommé en l’honneur de Gary Carter. Il est ensuite retourné en République dominicaine.
La mort de ce jeune homme doué nous rappelle la fragilité de la vie. Une carrière magnifique l’attendait. Pour les Cards, il était « L’Avenir de la concession ».
Hélas, Oscar Taveras ne pourra jamais concrétiser les mots si prometteurs inscrits sur sa carte de baseball.
Sources : St. Louis Post-Dispatch, Fox News
Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.
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