Sep/150
Les miracles diplomatiques des Capitales de Québec
D’importants enjeux politiques derrière la présence des Cubains
Revue de presse
Jean-Nicolas Blanchet, Journal de Québec, 22 septembre 2015
Des enjeux majeurs sur le plan des relations internationales reposaient sur les épaules des Cubains des Capitales de Québec, et ce, bien au-delà de leurs prouesses sur le terrain. Ces derniers sont repartis dans les Caraïbes la semaine dernière.
Photo ci-dessus : Ismael Jimenez, Yordan Manduley (debout) et Alexeï Bell ont été scrutés par plus d’une paire d’yeux cet été. (Photo : Le Journal de Québec, Simon Clark)
Ils sont des exceptions. Ce sont les premiers joueurs de baseball de Cuba à avoir évolué dans une ligue professionnelle de baseball en Amérique du Nord... sans s’être enfuis de leur patrie.
Leur présence reposait sur une collaboration hors de l’ordinaire entre Cuba, le Canada et les États-Unis. L’an dernier, l’équipe a aligné Yunieksy Gourriel et cette année se sont ajoutés Yordan Manduley, Ismael Jimenez et Alexeï Bell, trois vedettes dans leur pays, où ils sont reconnus partout. Ici, ils admettent que c’est un peu plus tranquille.
Avec l’ouverture des relations diplomatiques américano-cubaines, il y a enfin des possibilités, à court terme, de voir des Cubains se joindre au baseball majeur aux États-Unis, et ce, en toute légalité.
La centaine de joueurs qui l’a fait jusqu’ici s’est enfuie illégalement en abandonnant sa famille et en risquant parfois sa vie en bateau sur la mer des Caraïbes (voir autre texte).
Porter l’avenir
Le cas des Cubains des Capitales était donc une sorte de projet pilote réussi, qui pourrait précéder une vague importante de départ en toute légalité des joueurs cubains vers le baseball nord-américain.
«Je sens qu’ils ont une pression sur les épaules. Ils savaient que s’ils brisaient l’entente, ils allaient faire mal à tous les athlètes cubains. Mais, en la respectant, ils envoient un bon signal à leur gouvernement. Ils portaient un peu l’avenir des athlètes cubains en Amérique du Nord», explique Michel Laplante.
Lors du premier séjour des Capitales sur la route cet été, le gérant de l’équipe, Patrick Scalabrini, a admis qu’il avait certaines craintes. «J’étais un peu nerveux. Je me disais: bon, est-ce que le joueur va être là demain matin?»
Hockey et Ashton
Oui, il était là, et cette crainte s’est estompée rapidement. Peu de temps après leur arrivée, les Cubains chantaient «Je t’aime à la folie» de Serge Lama, ils chaussaient des patins à glace et ils commandaient chez Ashton. Ils ont plongé tête première dans le choc culturel.
Alexeï Bell
Photo ci-dessus : Alexeï Bell. (Photo : Daniel Mallard)
«Ma famille vaut plus que tout l’argent du monde», a dit l’un des Cubains, Alexeï Bell, au gérant Patrick Scalabrini, concernant l’éventualité qu’il accepte une offre d’une équipe pour se réfugier aux États-Unis, ce qui l’aurait empêché de revenir à Cuba.
En 2008, Bell était le meilleur frappeur de l’équipe de Santiago à Cuba avec un certain Adeiny Hechavarria. L’année suivante, Hechavarria s’est enfui. Aujourd’hui, il empoche près de 160 000 $ par mois chez les Marlins de Miami, soit près de 100 fois le salaire de Bell chez les Capitales.
LAPLANTE A RÉUSSI L’IMPOSSIBLE
Le président des Capitales de Québec, Michel Laplante, était plutôt nerveux il y a deux ans, lorsqu’il a présenté son projet à La Havane devant le président de la Fédération sportive et le ministre du Tourisme cubain.
Son projet, c’était d’amener des joueurs cubains à Québec, mais aussi d’envoyer de jeunes Québécois à des camps d’entraînement à Cuba, ce qu’il a fait l’hiver dernier et qu’il fera à nouveau cette année.
Photo ci-dessus : Le président des Capitales de Québec, Michel Laplante Photo Stevens Leblanc
Pour détendre l’atmosphère lors de la première rencontre, il a souligné qu’il avait déjà été impliqué dans une bagarre générale lorsqu’il jouait pour le Canada dans un tournoi à La Havane. La glace était brisée. Les dirigeants cubains s’en souvenaient et s’en moquaient.
Laplante s’est ensuite rapproché d’un personnage influent du baseball cubain, Lourdes Gourriel, leur Wayne Gretzky du baseball. Il a été l’un des plus grands joueurs cubains. Son fils, Yuniesky, évolue chez les Capitales. Laplante résidait même au domicile des Gourriel à La Havane. Le couple lui laissait même sa chambre.
«Je me sentais quasiment mal. Il est arrivé devant les dirigeants du baseball à Cuba et a dit, en parlant de moi: “C’est mon frère.” Il nous attendait durant des heures à l’aéroport quand on allait à Cuba parce qu’il ne voulait pas qu’on prenne un taxi. Et le gars est un héros là-bas, tout le monde le salue dans la rue. C’est quand même impressionnant», raconte Laplante, comblé par l’ouverture des autorités cubaines dans ce dossier.
Confiance mutuelle
«Ce qu’il y a de plus gros, c’est qu’on a réussi à s’entendre sur quelque chose qui ne s’était jamais fait avant. Ça prend beaucoup de confiance, car on a la preuve, à chaque voyage de l’équipe nationale cubaine, que des joueurs se sauvent», relate Laplante, qui a aussi dû s’entendre avec l’ambassade américaine à Québec pour permettre aux joueurs cubains de suivre les Capitales sur la route aux États-Unis.
«Rien ne les empêchait de croire que je n’accepterais pas un million de dollars des Yankees de New York», ajoute-t-il. Deux organisations du baseball majeur ont d’ailleurs contacté le président des Capitales, qui a gentiment redirigé ces équipes vers les dirigeants cubains.
«Le baseball, c’est tellement gros là-bas que, dans l’ouverture entre les États-Unis et Cuba, à travers tous les enjeux économiques et politiques, il y a comme une balle de baseball en plein milieu.»
«UN RÊVE DEVENU RÉALITÉ»
Ils s’ennuient de leur famille, mais ils sont fiers de faire partie de cette aventure qui pourrait ouvrir la porte aux autres joueurs cubains en Amérique du Nord.
Les trois Cubains sont catégoriques quand on leur demande la plus grande différence entre le Québec et Cuba. «Il fait froid», ont-ils tous dit devant leur traducteur lors de l’entrevue avec Le Journal, peu de temps avant leur départ vers Cuba après la saison.
Photo ci-dessus : Alexeï Bell, Yordan Manduley (debout) et Ismael Jimenez ont été scrutés par plus d’une paire d’yeux cet été. (Photo : Simon Clark)
L’un d’entre eux est l’un des meilleurs joueurs d’avant-champ de son pays, l’autre, l’un des meilleurs frappeurs, et le troisième, l’un des meilleurs lanceurs. À Cuba, ils sont des stars. Ici, les trois admettent que c’est plus tranquille.
Yordan Manduley
Photo ci-dessus : Yordan Manduley (Photo : QMI)
Ils ont appris à découvrir quelque chose de nouveau pour eux: Facebook. Et ils en passent, du temps sur internet. «C’est important pour nous, car ça nous permet de communiquer avec notre famille et de savoir ce qui se passe partout dans le monde», explique Yordan Manduley.
Ils aiment le Québec, mais ont hâte de retrouver leurs proches. «Je suis loin de ma famille», a lancé Alexeï Bell, un père de famille. Le magasinage, c’est d’ailleurs pour eux une façon de redonner à leur famille. «C’est pour ma famille, pour les enfants, pour les amis. Quand nous revenons d’un autre pays, nous organisons une réunion et nous faisons la distribution des cadeaux», explique Bell.
Et c’est comment, être les seuls Cubains à jouer en Amérique du Nord sans s’être sauvés? «C’est un rêve devenu réalité. Je suis content pour la Fédération nationale cubaine et pour les Capitales», poursuit Bell.
Pas amer
À 30 ans, les athlètes attirent moins les organisations du baseball majeur, mais Jimenez y rêve encore et serait ouvert à la discussion si l’occasion se présentait et que la situation diplomatique le permettait. «Je suis content d’être rendu ici. Mais, l’an prochain, s’il y avait des ouvertures, je serais intéressé. Il y a encore des tractations, mais nous suivons tout ça.»
Que pensent-ils de leurs anciens compatriotes cubains qui ont déserté le pays? «Je suis content pour eux et de leur succès. Chacun vit à sa façon, peu importe la façon», explique Bell, moins bavard sur ce délicat sujet politique.
QUELQUES FAITS...
LES YEUX DANS L’EAU
À peine débarqués à Québec, les Capitales ont amené les Cubains au magasin Baseball 360 et leur ont permis de prendre ce qu’ils voulaient. Lorsqu’Ismel Jimenez a choisi son gant neuf et l’a pris dans ses mains, il avait les yeux pleins d’eau. Le moment était, nous dit-on, très particulier.
50 KM/H SUR LA LAURENTIENNE
Les Cubains ont aussi dû apprendre à conduire en Amérique du Nord. À leurs premiers trajets, ils ont été interceptés à... 50 km/h sur l’autoroute Laurentienne, le soir, les phares éteints. Heureusement pour leur dossier de conduite, c’est un bon Samaritain qui les stoppés.
UNE SCÈNE PARTICULIÈRE
Les trois Cubains se sont joints à l’équipe nationale cubaine lors des Jeux panaméricains en juillet dernier. C’était en plein milieu de la saison des Capitales. Alors que tous les Cubains étaient sous haute surveillance pour éviter les défections, les trois Cubains des Capitales ont pu prendre un taxi librement pour l’aéroport afin de revenir au Québec après le tournoi. Soulignons que six athlètes cubains se sont enfuis durant les Jeux panaméricains.
FOU DU MAGASINAGE
Une facette du choc culturel qui les frappe, c’est leur propension à magasiner souvent. «C’est assez incroyable. Chaque endroit où on va, c’est comme s’ils ressentaient un sentiment d’urgence d’aller magasiner. Ils veulent aller voir le magasin de la place comme si c’était le dernier qu’ils allaient voir», explique le gérant Patrick Scalabrini. Au premier voyage, les Cubains ont d’ailleurs rempli l’autocar. Un voulait acheter un lave-vaisselle pour sa famille, avant qu’on lui explique que de le ramener à Cuba serait complexe.
ON FAIT CE QU’ON VEUT?
Habitués à être restreints dans leurs mouvements sur la route avec l’équipe nationale cubaine, les trois joueurs des Capitales étaient plutôt étonnés lors du premier voyage de l’équipe. «On sortait de l’autobus et j’ai dit: “Demain, on part de l’hôtel à 9 h”», explique Scalabrini. «Ils m’ont demandé: “Là, on fait quoi? On fait ce qu’on veut? Vraiment?”» poursuit-il. Ils me l’ont fait répéter deux fois. Le gérant explique aussi avoir vécu un beau moment lorsqu’ils ont mis les pieds pour la première fois aux États-Unis. «Ils me demandaient toujours si on était arrivés. C’est un peu mythique pour eux.»
PLUS D’UNE CENTAINE DE JOUEURS CUBAINS SE SONT ENFUIS
Plus d’une centaine de joueurs cubains se sont enfuis depuis 1991. Une trentaine évoluent dans le baseball majeur à l’heure actuelle. Plusieurs défections ont lieu lors des tournois de l’équipe nationale cubaine à l’étranger, comme ce fut encore le cas en juillet dernier, lors des Jeux panaméricains. Voici quelques cas:
Les frères Livan et Orlando Hernandez
Livan, un ancien des Expos, s’est enfui en 1996 pour se joindre aux Marlins de la Floride. Il a obtenu plus de 53 millions de dollars en 17 ans dans les ligues majeures. Son frère aîné, Orlando, s’est enfui deux ans plus tard pour se joindre aux Yankees de New York. Il avait été banni à vie du baseball à Cuba après le départ de son petit frère. En neuf ans, il a empoché près de 23 millions. Il s’est enfui en bateau et a été retrouvé par la Garde côtière lorsqu’il était perdu sur une petite île dans la mer des Caraïbes.
Yasiel Puig
L’actuelle grande vedette des Dodgers de Los Angeles a déserté son pays en 2012 par bateau, lorsqu’il avait 21 ans. Il a alors rejoint le Mexique et signé, quelques semaines plus tard, un contrat de 42 millions pour sept ans avec les Dodgers.
Airoldis Chapman
Faisant partie des meilleurs lanceurs de la planète, il détient le record du lancer le plus rapide de l’histoire (105 mi/h). Lorsqu’il accompagnait l’équipe nationale cubaine à un tournoi aux Pays-Bas en 2009, il est sorti de l’hôtel en disant aller fumer une cigarette et a disparu, a révélé ESPN. Il a signé peu de temps après un contrat de six ans et de 30 millions de dollars avec les Reds de Cincinnati, avec qui il évolue toujours.
Yoenis Cespedes
Le puissant frappeur des Mets de New York a déserté Cuba à l’été 2011 dans un petit bateau avec 11 membres de sa famille. Le trajet a duré 23 heures. Il a accosté en République dominicaine et a signé un contrat de quatre ans de 36 millions avec les A’s d’Oakland.
Jose Fernandez
Considéré comme l’un des meilleurs lanceurs du monde à 23 ans, Jose Fernandez a tenté de se sauver trois fois à l’adolescence et a été emprisonné après ses tentatives. Il est finalement parti en bateau à l’âge de 15 ans avec sa mère et sa sœur. Il a révélé à Fox Sports qu’il a dû plonger à l’eau pour sauver sa mère lorsque son embarcation s’est heurtée à de hautes vagues.
Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.
Aucun trackbacks pour l'instant